Jules portait à l’index gauche un anneau en argent acheté à 15 ou 16 ans dans une petite boutique d’objets : foulards, tissus et bijoux orientaux situés dans la rue de la poste, petite rue de Saint-Gilles-les bains, où nous vivions alors, qui menait de la mer à la rueprincipale.
Il adorait cette caverne d’Ali Baba… et sa bague… et il m’aimait, moi, sa mère.
L’anneau est large et légèrement bombé, constitué d’une première plaque gravée de fines volutes saillantes en surface, un relief qui évoque des feuilles de fougère, des tiges, des herbes, organisées en spirale avec de petites fleurs de part en part.
Il ne le quittait jamais. Le fond finit par noircir mais pas la surface frottée à la vie, ce
qui donna du relief aux décors champêtres et exotiques de ce bijou emblématique pour lui.
Il ne le quitta donc jamais, jusqu’à sa mort 10 ans plus tard, quand on le mit, nu, à la morgue, délesté de tout ce qui lui appartenait.
On me remit cet anneau, je ne sais trop de quelle façon… Peut-être était-ce le monsieur des pompes funèbres avec sa délicatesse mielleuse ou bien les fonctionnaires fantômes de la morgue avec leur indifférence glaçante.
En tout cas cet anneau me rev
int comme une évidence. Je le passais alors et pour toujours, je le savais, à mon annulaire droit. Je déposais en échange, dans le cercueil de bois qui allait emporter mon enfant, ma chaîne en or et ma médaille représentant Marie, une maman pour le voyage, mon foulard préféré aux tons chauds qu’il aimait, et un paquet de ses macarons préférés, parfum fraise et citron, tout frais pour mon gourmet. Je n’allais certainement pas laisser partir mon enfant sans provisions.
Je porte, depuis, cet annea
u sans faillir à une promesse tacite : nous nous retrouverons un jour, je te le rendrai alors, fondu comme il se devra dans les flammes qui me réduiront en poussière comme toi, me transformant en ondes de lumière éternelle accompagnant les tiennes.
Je crois, en bonne scientifique, que rien ne se perd et que tout se transforme, je crois donc à l’au-delà quel qu’il soit…et J’y viendrai un anneau au doigt, pas celui dont j’ai espéré jeune fille, jeune femme, puis femme, qu’il me sauverait du néant, non pas celui que l’on passa à mon annulaire gauche quelques fois. Je viendrai l’anneau …ou ce qu’il en restera …au doigt droit communier dans l’éternité de ma foi, avec toi et ceux que j’ai tant aimés ici-bas
Ta mère, Pascale
Nota bene : rappelle-moi, quand tu viendras me chercher, de demander à Mimi de laisser l’anneau à mon doigt, ma chérie pourrait penser qu’il serait bon de le sauver du naufrage de la mort qui n’en fut et n’en sera jamais un pour moi …
Rappelle-le-moi tu veux bien ?
Jules… tu m’écoutes ? Rappelle-le-moi !
Comment ça Je n’ai pas besoin de répéter 10 fois pour que tu m’entendes ? !
Dis donc toi ! tu es sûr que tu as évolué là-bas mon caf ? ! Parce que là… là…
etc.
« In : le dialogue interrompu », le 15 septembre 2023
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